DECOUVREZ LE THEATRE EN IMMERSION TOTALE...

Publié le par corsu61

Il existe en Corse, dans la région balagnaise, un outil incontournable pour se former à l'art théâtral : l'ARIA (Association des Rencontres Internationales Artistiques).

Immergée dans la vallée du Giussani, au cœur même du parc naturel régional de Corse, cette association propose des stages aux amateurs et professionnels désireux de se former, ou de s'améliorer, à la pratique de leur art. Portée à bout de bras par de véritables passionnés, elle propose des rencontres internationales hautes en couleurs et de très grande qualité.

Mais je laisse la parole à une personne beaucoup plus qualifiée que moi pour vous présenter cet extraordinaire outil de formation :

le directeur artistique de l'association, Serge Lipszyc.

Serge Lipszyc

Serge Lipszyc

Bonjour et Merci de me recevoir...

Mais je vous en prie.

J'aimerais que vous présentiez l'historique de votre association...

L'ARIA est née en 1998. C'est un projet qui a été initialisé et porté par le comédien et metteur en scène Robin Renucci.

Ce projet s'inscrit dans un mouvement d'éducation populaire qui, à l'origine, est né autour de la construction d'un stage de réalisation théâtrale en milieu rural, au cours de l'été 1998. C'est un stage long (34 jours) qui s'inscrit dans une tradition historique théâtrale et qui a la particularité de réunir des gens venant de tous les niveaux et de tous les milieux. C'est un brassage à la fois d'amateurs et de professionnels, de jeunes et de vieux, d'enseignants, d'éducateurs, d'étudiants en art dramatique et d'étrangers, d'où le nom de rencontres internationales théâtrales de Haute-Corse.

A l'origine, ce projet est né de cette volonté de bâtir un stage comme celui-ci. Très rapidement, un énorme engouement s'est créé, et le stage a été reconduit d'année en année, et, à partir des années 2000, est né le projet de structurer l'association et de lui donner un toit afin de pouvoir développer le travail tout au long de l'année. A force d'opiniatreté, de contacts et de persuasion, l'association a réussi à mettre en place le projet de construction du lieu de 420 m2 dans lequel nous nous trouvons actuellement : "A Stazzona" (La forge), qui est un lieu de fabrique, de formation, de création et d'éducation, qui nous permet de travailler toute l'année.

 A Stazzona : "La Forge"

A Stazzona : "La Forge"

Il faut savoir qu'avant la construction de ce bâtiment, nous avons vécu quasiment 12 ans hors des murs, en extérieur, en travaillant beaucoup l'été, mais également l'hiver, dans des conditions d'hébergement plus difficiles. Depuis les années 2010, nous avons désormais ce formidable outil qui nous permet de travailler sereinement été comme hiver.

Aujourd'hui, l'association travaille donc à l'année, aussi bien sur le territoire insulaire qu'en contact avec le territoire national, qui touche au domaine de l'éducation. Nous recevons une vingtaine de classes, qui viennent de Corse et du continent, et qui sont l'équivalent des classes vertes (au lieu de faire du sport ou du ski, les élèves viennent pratiquer le théâtre). Ces classes vont de la maternelle aux classes préparatoires, et nous partageons avec elles le projet de formation. On met à la disposition des enseignants, soit des comédiens, soit des metteurs en scène, qui les accompagnent selon les contenus que l'on bâtit ensemble. Ce caractère éducatif, qui est très important, est le socle de l'association.

DECOUVREZ LE THEATRE EN IMMERSION TOTALE...

Nous menons également beaucoup de projets transversaux, dans le cadre de l'Education Nationale, avec plusieurs écoles corses. Cela concerne un projet de création théâtrale qui est mené à l'année. Mais ce n'est là que le premier étage de la fusée !

En effet, le second étage concerne tout ce qui touche à la formation. Et dans cette dernière, nous faisons la distinction entre la formation pour tous et la formation professionnelle.

La formation pour tous concerne des stages qui vont se succéder tout au long de l'année, qui permettent de travailler en infusion. Une quinzaine de stages sont programmés, de l'automne à l'été suivant, et ils sont ouverts à tous, sur des thématiques aussi diverses que le Land Art (tendance de l'art contemporain utilisant le cadre et les matériaux de la nature : bois, terre, pierres, sable, rocher, etc.), le conte, le chant, théâtre et musique, le travail sur des textes contemporains... Nous trouvons des équilibres selon les saisons.

La formation professionnelle, quant à elle, peut être déclinée sur différents plans. Celle qui est réservée aux acteurs, par l'intermédiaire de notre PCA, c'est à dire l'AFDAS... Nous mettons donc en place des stages AFDAS (Association pour la formation des adultes).

C'est à dire ?

Ce sont des organismes de formation professionnelle qui permettent aux comédiens de continuer à se former dans le cadre de leur métier.

 

Un espace rendant hommage à la nature

Un espace rendant hommage à la nature

Nous développons également des projets singuliers, avec des organismes nés de rencontres qui nous ont amenés sur des territoires professionnels que nous n'avions pas imaginés au départ.

De quel genre ?

Je pense notamment à tout le travail que nous menons autour du souffle, avec une maternité de Nantes, et un professeur qui est venu ici comme stagiaire, puis comme adhérent, et qui a été fasciné par ce qui se pratiquait ici. Il a donc persuadé toute son équipe de venir avec lui se former à la pratique de la respiration profonde et du souffle, ce qui fait qu'aujourd'hui, ils pratiquent également l'art théâtral. Ces gens ont donc trouvé ici une application concrète de ces techniques au sein même de leur profession. Ils sont  aujourd'hui confrontés à la déshumanisation, au rendement, à la gestion du stress, et ces techniques là, qui sont à priori éloignées de leurs préoccupations, sont en fait en implication directe avec leur métier. Ces pratiques théâtrales leur sont donc très utiles dans leur pratique professionnelle, en terme de cohésion de groupe, d'équipes. 

Cet établissement nantais, qui va faire des petits, puisque le projet se développe, nous envoie désormais presque toute l'équipe de la clinique ! Nous recevons le médecin, les sages-femmes, des administratifs de la clinique... Nous avons donc tout une kyrielle de personnes qui travaillent dans ce milieu hospitalier qui se retrouvent à bosser ensemble, autour de ces techniques et de la pratique du théâtre.

C'est, somme toute, un projet social ?

Oui. Tout à fait.

Ce sont là des développements que nous n'avions pas imaginés au départ, mais qui sont nés de la force du projet et qui ont conquis des gens qui l'ont observé de l'extérieur,. En discutant ensemble, nous avons donc co-construit ces projets.

La grande salle, ouverte sur la vallée

La grande salle, ouverte sur la vallée

Le troisième étage de la fusée concerne la création pour tous. Il faut savoir que tous les stages font création et donnent lieu à une rencontre avec le public. C'est la spécificité de notre formation. C'est à dire qu'à un moment donné du travail, on croise le regard et l'oreille du public, avec des projets qui sont en cours.

En effet, ce sont des ateliers, et non des spectacles. Ce sont des temps donnés de restitution. L'énergie, la concentration, la volonté et le désir qu'ont  tous ces stagiaires de donner rendent quelquefois ces projets extrêmement forts, et les spectateurs les recoivent quasiment comme des spectacles aboutis. C'est ça la vraie force de ces projets !

Les gens qui donnent des cours, ce sont des metteurs en scène ?

Nous avons ici une équipe administrative structurée, entourée d'une autre, artistique, et des metteurs en scène formateurs qui viennent  tout au long de l'année, transmettre, former les gens, et qui constituent le vivier pédagogique de l'association.

Ce sont des passionnés ou ce sont des salariés ?

(Il sourit) Ce sont des passionnés salariés.

Et ceux du pôle administration ?

Ils sont totalement investis dans le projet. Aujourd'hui, nous sommes en plein été, mais il faut voir également en plein hiver ! La Corse se vit bien l'hiver !  Quand vous avez fait le voyage en hiver, vous êtes corse. Autrement, vous n'êtes qu'un gentil touriste... (Il sourit). La vraie force de ce projet, c'est de l'inscrire dans la durée. C'est questionnant, c'est questionné, c'est difficile à réaliser mais c'est l'objectif que l'on s'est fixé.

 

L'atelier de lecture

L'atelier de lecture

Ok. D'où viennent vos fonds ? Il faut bien des fonds pour faire fonctionner tout ça...

Hormis les subventions qui nous viennent de cinq partenaires : La collectivité territoriale de Corse, Le département de la Haute-Corse et les trois ministères (Culture, Education Nationale et des droits des femmes, de la ville, de la jeunesse et des sports), notre association s'auto-finance à environ 50 %, ce qui est extrêmement notable et remarquable dans le paysage insulaire. Nous sommes actuellement une des plus grosses associations culturelles de Corse qui subit, comme tous nos collègues, des coupes franches qui nous fragilisent et qui nous requestionnent dans notre fonctionnement de manière permanente.

Notre association est réellement d'utilité publique et répond au besoin profond qu'ont les gens de se retrouver, se requestionner, de réapprendre les fondamentaux d'écoute, de plaisir de textes, de plaisir d'échanges, de grandir, de prendre du temps pour se retrouver et se questionner.

La force d'un stage comme celui-là, c'est qu'en 34 jours, vous ne truquez pas longtemps ! Vous voyez ce que je veux dire ? Vous êtes stagiaire, pendant une semaine vous faites semblant, et ensuite vous vous rasez un peu moins, les peaux tombent, et ce que vous êtes réellement apparaît. En fait, vous vous rencontrez ! Quelquefois, c'est assez perturbant... Le stagiaire se trouve vite confronté à ses propres angoisses, ses difficultés, l'acceptation de cet état... Cependant, il a la possibilité dans ce temps, long, de se surpasser. A la fin du stage, les stagiaires, tout comme les formateurs, sont rincés, épuisés ! Nous ne sommes pas des surhommes. Nous avons le poids de la fatigue de la journée qui pèse. On mène plusieurs projets, on est sans arrêt en éveil... On est en état de surventilation...

(Je le coupe) Quels sont les horaires de travail ?

Les activités commencent à 08h45 et se terminent à 23h00.

(Je ris)... Ah d'accord ! Avec une petite pause déjeuner ?

Oui. Un ravitaillement en vol... (Il rit). Généralement, les stagiaires perdent pied mais en même temps, c'est très ennivrant.

Un stage a sa propre vie. Le fait qu'il y ait plusieurs formateurs apporte une richesse de propositions. C'est à dire que mes collègues et moi-même, même si nous sommes portés par les mêmes fondamentaux, nous n'intervenons pas dans le système de la même manière, pédagogiquement parlant. Ca, c'est extrêmement riche pour quelqu'un qui vient en stage.

Travailler l'expression corporelle

Travailler l'expression corporelle

Il faut savoir que le stagiaire choisit son projet, et donc son formateur.

J'allais vous poser la question... Comme cela fonctionne-t-il ? Un formateur choisit un thème ?

Oui. Pour faire simple... Par exemple, moi, je travaille sur la pièce "Le Mandat" de Nicolaï Erdman. En première semaine, le jeudi soir, je viens me présenter aux stagiaires et je leur propose de voyager avec moi pendant 4 semaines sur cette pièce. Je leur indique de quelle manière je veux la monter et je leur demande qui veut se joindre à l'aventure. Si cela les intéresse, ils cochent la case me correspondant. Le samedi suivant, les choix sont faits et j'ai ma liste de 16 participants. A partir de là, j'ai 60 heures de travail, en tenant compte de toute l'organisation de ce dernier, pour mettre en place ce que vous verrez à la fin du stage. Ca se fait donc avec des gens complètement improbables car si je le faisais de manière professionnelle, j'aurais le choix de mon "casting". Mais là, j'ai un potentiel de gens qui m'ont choisi, qui sont dans le désir de "faire ensemble". 

Nous sommes donc 17 personnes et à nous d'inventer un système de jeu, des possibilités de doubler des rôles, d'échanger, de tout simplement travailler ensemble. Pas pour soi, mais pour l'oeuvre et pour le public.

Et les gens peuvent être complètement débutants ?

Totalement. Et ce qui est fort, c'est que, cette année, j'ai des jeunes acteurs confirmés, qui savent un peu naviguer, mais j'ai aussi des gens qui sont extrêmement fragiles, aussi bien physiquement que mentalement. Ils ont tout de même décidés de faire le stage et je les considère comme stagiaires à part entière. Le but du jeu, c'est donc de mettre la casserole à feu doux et de faire en sorte que tout ça fasse une osmose. Et y arriver, c'est extrêmement gratifiant ! Pour eux... et pour nous ! L'énergie de celui qui donne nourrit aussi celui qui fait.

 

Un atelier très...zen

Un atelier très...zen

Dernière question. Comment cela se passe-t-il au niveau des langues parlées ? Comme vos stages sont internationaux...

C'est très simple. Notre histoire suit celle du pays. C'est-à-dire que de 1998 à 2002, nous avons eu des années folles en terme d'échange avec l'étranger. Nous avons eu des chinois, des mexicains, des burkinabés, des tchèques, des roumains, c'était formidable ! Je vous en parle avec un peu de nostalgie car, du coup, il nous arrivait de monter du William Shakespeare ou du Victor Hugo avec des passages en anglais, en chinois, en espagnol...

Chacun jouait dans sa langue maternelle ?

Oui. Complètement. C'était très intéressant ! Quand vous entendez du Shakespeare en anglais, c'est très différent qu'en français !

Mais comment communiquiez-vous ?

Ils parlaient également français. Mais nous utilisions le fait que ces langues étrangères soient présentes pour apporter une diversité.

Et puis, c'était très riche pour ici, en Corse. Cela permettait de ne pas se renfermer sur l'entre-soi, mais de s'ouvrir. Il faut ouvrir la Corse ! Elle est forte et très identitaire, mais si elle se referme, elle est morte. Il faut donc l'ouvrir et ce brassage de langues qu'il y avait ici était formidable. Vous savez, l'otarcie peut facilement conduire à l'extrêmisme. "L'Autre", ce n'est pas forcément l'image que l'on a a la télévision.

 

Le spectacle pour enfants

Le spectacle pour enfants

Tiens, j'ai un très bel exemple que je peux vous citer : Il y a 3 ou 4 ans, nous avons accueilli une classe d'un lycée professionnel de Seine-saint-Denis. Les élèves étaient 20 et il y avait 19 nationalités différentes. Il y avait de tout dans la classe ! Quand ils sont arrivés, c'était vraiment "L'Autre" qui arrivait. On s'est tout de suite dit : "Oh là... Ils vont nous mettre le collège à l'envers !". Et bien ces jeunes gens ont passé une semaine ici, sont partis en chantant corse, et ils nous ont rendu l'établissement dans lequel ils étaient hébergés dans un état de propreté absolue !

Le semaine suivante, nous avons reçu des élèves d'une classe d'un collège ajaccien, qui visiblement n'avaient pas du tout la même notion de l'entre-soi et du partage, et qui nous ont quitté à la fin de leur stage en se disant qu'il y aurait quelqu'un derrière eux pour faire le ménage...

Ca, c'est intéressant, car cela change les points de vue...

Si vous aviez un petit message à transmettre aux jeunes, ou moins jeunes qui vont lire l'article, afin de leur donner l'envie de rejoindre votre aventure...

Je leur dis simplement qu'à leur âge, si j'avais eu la possibilité de profiter de ce qu'on leur offre, je n'aurais pas hésité une seconde. C'est un vrai voyage et cela va les nourrir pour les années à venir. En fait, nous posons des graines. Il ne faut pas se dire : "Ce n'est pas pour moi". C'est pour tout le monde ! Je les encourage donc à faire ce pas de découverte.

Et bien merci pour ce moment et je ne peux que conseiller à tous de venir vous rejoindre dans cet endroit qui semble, quelquefois, hors du temps...

Rencontre avec le public

Rencontre avec le public

Pour plus d'informations, n'hésitez pas à contacter l'association "L'ARIA"

A Stazzona, 20259 - Pioggiola/Olmi Cappella

Tel : 04.95.61.93.18

www.ariacorse.net

contact@ariacorse.net

 

Reportage photo réalisé par Erica LAVALLE

Publié dans INTERVIEWS DIVERSES

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D
Très intéressant et attirant, merci pour ce partage.
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L
Joli moment et chouette reportage. Je découvre toujours des choses sur votre site. Un régal ! MERCI
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G
EXCELLENT REPORTAGE
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P
Quelle bonne idee d'avoir publie cet article! Je le mettrai en lien ce soir
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F
Excellent article ! Une bonne découverte et que de jolies photos...
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