JEAN-PIERRE MATTEI (SUITE)
Marie-José Nat et Daniel Auteuil sont les parrains de la cinémathèque de Corse...
Tout à fait. Marie-José répond par l'affirmative quand on lui demande de venir.
Je suppose que le budget de la cinémathèque est sensiblement différent qu'à vos débuts ?
Effectivement, le budget a sensiblement explosé comparé à sa création. De 1983 à 2000, il y a eu la gestation et la mutation d'une association qui défendait un projet appelé à devenir régional. L'association se battait donc pour un concept au sein duquel il fallait absolument que les politiques prennent conscience que le lieu choisi soit absolument Porto-Vecchio. En effet, nous avions un relationnel autour de nous, des personnes qui soutenaient laction que l'on menait. Je me rappelle par exemple de Robin Renucci (c'était lépoque d'"Escalier C", film qui lui permit d'obtenir son César)... Il est allé visiter l'ancien cinéma "L'Oriental" que l'on avait loué et dans lequel nous avions toutes nos archives avec des monceaux de films...
En 1986, nous avons créé une association qui sappelait "cinémaffiche". Pendant 3 jours, nous présentions au public régional et Porto-Vecchiais trois avant- premières chaque soir, et dans laprès midi ou le soir, nous présentions la création corse, ainsi que des animations. D'ailleurs, Robin Renucci m'avait dit : "d'habitude, quand je fait des manifestations de ce genre, j'inaugure des salles vides. Là, j'inaugure des caves pleines !".... Nous avons été bien aidés, mais en même temps, Porto-Vecchio n'avait pas montré un intérêt formidable pour la culture et pour le cinéma. Nous gardions donc un regard attentif en nous demandant si c'était sincère...
Vous savez, j'ai toujours défendu le fait que les choses se fassent progressivement et normalement. Le milieu associatif est formidable parce qu'il laisse une liberté mais en même temps il faut avoir l'appui du politique. Si vous ne pouvez pas l'avoir, il y a un moment où se posera un problème financier. Quand tout le monde a pris conscience que la Cinémathèque était un outil intéressant et surtout au niveau du Président de la région, et de l'Etat lui-même via le ministre de la culture qui était Jack Lang à l'époque, il y a pu y avoir une rencontre. Et à partir de ce moment là, les évènements se sont précipités. En 1989, il a été décidé de construire la Cinémathèque dans la ville qui donnerait le terrain pour l'accueillir. Ajaccio, Bastia, Corte, Porto-Vecchio ? Ce dernier arrivait en tête car naturellement, et sans fausse modestie, c'était le lieu où lassociation avait son patrimoine. La ville a donc donné le terrain. Ensuite, le défi suivant a été de la doter d'une infrastructure originale. A lépoque, lidée du patrimoine était quelque chose d'un peu nouveau et l'on n'en prenait pas toute la mesure. Il fallait donc qu'avec le collège et le lycée, il y ait une infrastructure culturelle, un lieu dans lequel on puisse voir des pièces de théâtre ou assister à des congrès. Il fallait que conjointement à l'outil cinémathèque culturelle, il y ait un outil qui fasse vivre les gens de Porto-Vecchio... C'était le premier établissement de ce type qui se construisait en France, dans lequel une commune et une région étaient liées et solidaires. Je persiste à croire qu'une dynamique de ce type est très constructive.
En quelle année la Cinémathèque s'est-elle ouverte ?
En décembre 1999.
Cela a-t-il favorisé la création d'emplois ?
Aujourd'hui, nous avons 11 personnes salariées, mais lassociation est toujours bénévole. Je crois que dans le même type, il y a la Cinémathèque Française au sein de laquelle le conseil d'administration est également bénévole, et l'institut Jean Vigo.
L'accueil de la cinémathèque
En 2003, pourquoi avoir quitté la présidence ?
C'était devenu très lourd. Nous avions un directeur artistique qui avait des compétences et je désirais m'occuper et développer davantage les archives. J'avais alors mon livre à écrire sur la Corse et le cinéma. Ce dernier me demandait énormément de travail. Aujourd'hui, avec les moyens audiovisuels que nous avons, nous pouvons voir des interviews et des choses vivantes concernant les personnes qui ont participé à lélaboration du cinéma. Je me suis donc retrouvé à faire des documentaires. En 1990, L'association et moi-même avions réalisé une interview d'Hercule Mucchielli. Il n'était connu de personne et a pourtant été une des plus grandes personnalités du cinéma pendant une dizaine d'années. Il avait créé une société qui s'appelait "Valoria films" et qui aidait à la distribution. Si Claude Berry a pu faire "Le vieil homme et l'enfant", si Costa-Gavras a pu terminer "Z", si Labro a pu tourner "Sans mobile apparent", c'est grâce à "Valoria films". Cet homme était, au départ, associé au départ avec Samuel Bronston. Ce dernier était le ponte d'un studio en Espagne qui a produit "Le Cid", "Le roi des rois"... De plus, Mucchielli connaissait Robert Dorfmann avec qui il avait des liens privilégiés. Ce dernier lui donnait en distribution tous les films qu'il produisait : "La grande vadrouille", "Le corniaud", etc...
Des films mythiques...
Que oui ! "La grande vadrouille" lui a rapporté une fortune ! Pour en revenir à l'interview, je suis allé le voir sur la fin de sa vie et ce jour là, j'avais eu la bonne idée d'apporter un magnétophone. Je l'ai enregistré de 10 h à 19 h...
Parlons personnalités. Quelle est celle qui vous a le plus marqué ?
Il y en a beaucoup... Je dirais Henri Verneuil. C'était un homme charmant et d'une grande amabilité. Il est venu à Porto-Vecchio et nous a consacré trois jours. Il avait comme script lucile Costa qui était la grande script du cinéma français et qui a travaillé avec Jean Cocteau, Peter Brooks, José Giovanni, René Clément, Philippe de Broca...
C'est assez amusant de vous écouter car on sent plus le technicien que le spectateur. On retrouve vos souches... l'envie de réaliser. Vous parlez essentiellement de technique, des réalisateurs, et très peu des acteurs..
L'acteur est plus difficile. De par lui même, c'est quelquun de double, triple, quadruple... il est cinquante, trois cents personnages ! Il peut donc être très charmant, comme il peut être atypique. Par exemple, nous avons eu des rapports formidables avec Philippe Léotard. Mais un réalisateur, un chanteur, un technicien ou un affichiste est plus en retrait, plus à lécoute. Daniel Auteuil a toujours été très charmant avec nous, Christian Clavier, qui est venu présenter "L'enquête corse", était très correct. Marie-José Nat a toujours été charmante... A l'époque, nous avions invité Marco Ferreri. C'était un personnage amusant. On m'avait dit de faire attention à lui car il allait tout faire pour me déstabiliser. J'étais averti ! Nous présentions deux de ses films : "L'audience" avec Claudia Cardinale et "Y'a bon les blancs", avec Michel Piccoli. Celui-ci, je ne l'avais pas vu et j'allais aller le voir le soir même. Nous présentons donc les films et devant 250 personnes, soudainement il me dit "Tu n'as pas le droit de parler, tu n'as pas vu mon film, alors tu ne peux rien dire ! "Je lui ai répondu qu'il avait entièrement raison mais que je pouvais quand même indiquer aux gens son CV. il me dit : "Non, car tu n'es pas sincère !". (Il rit). C'était évidemment de la provocation... Une seconde fois, nous l'avions invité dans un restaurant de poissons car nous savions qu'il était pêcheur. Nous étions une dizaine. Nous lui demandons : "Marco, que désirez-vous manger ?". Il nous répond alors froidement : "Je n'aime pas le poisson" ! Il a alors fallu lui faire un bifteck !! (Il rit de plus belle).
Pourquoi ne voit-on jamais de star américaine à Porto-Vecchio ?
On a failli en avoir une et c'est mon grand regret. Il s'agit de Rod Steiger. Il devait venir car il jouait le rôle de Napoléon dans "Waterloo" de Bondartchouk. Seulement, les américains, il leur faut la climatisation, la première classe, etc... Steiger nous a demandé la première classe et cela coûtait 20 000 francs pour venir. En 1995, c'était une somme ! On a dû tout annuler. C'est un énorme regret. Maintenant, c'est encore plus terrible. Ils viennent avec deux ou trois personnes, il faut des salles climatisées, l'attaché de presse est toujours très important... Ceci dit, quand nous avons organisé la première manifestation de prestige, nous avons eu un plateau absolument extraordinaire. Nous avons présenté "Le Paltoquet" de Michel Deville. C'était un film avec Jeanne Moreau, Claude Piéplu, Daniel Auteuil, Philippe Léotard. Nous l'avons présenté en avant-première et nous avons eu plus de 1000 spectateurs ! C'était la ruée. Les gens se pressaient pour arriver ! Désormais, c'est devenu commun, mais en 1983, l'avoir ici en avant-première, c'était quelque chose ! Sur scène, avant la présentation, nous avions : Denise de Casabianca, Pierre Cangioni de "Télé Foot", Robin Renucci, Michel Landi, Guy Bedos, Victor Lanoux, Marie-josé Nat, Claude Piéplu, Serge Lama, Yves Duteil, Henri Graziani, la fille de René Ferracci... Nous avons présenté la maquette de "La corse et le cinéma" et c'est là que nous avons déclaré officiellement la cinémathèque régionale. Tout a été fait bénévolement et payé par les hôteliers et les restaurateurs de la ville. Ils se sont beaucoup investis.
Nous avons également eu un projet, à un certain moment, qui était important. C'était un festival sur la technicité pendant lequel Steven Spielberg devait être présent. Mais cela coûtait trop cher et la collectivité a reculé devant la somme qu'on nous demandait. Nous n'avons pas de mécène. Ce sont toujours les collectivités qui payent, on ne peut donc pas aller dans le luxe.
Quand des acteurs viennent, sont-ils payés ?
En ce qui nous concerne, nous n'avons jamais payé. Cependant, ailleurs, je sais que certains acteurs se font payer. Aujourd'hui, beaucoup de villes en France ont leur festival, cette façon de faire s'est donc complètement démocratisée. A un certain moment, nous avons rôdé autour de Sean Connery, qui vient au golf de Spérone. Mais si on veut toucher le haut de gamme, il faut des moyens...
Nous avons cependant reçu du beau monde. Par exemple, lorsque nous avons a fait le premier "cinemafiche", nous avons reçu Marie-France Pisier, Bertrand Poirot-Delpech, Noëlle Chatelet, Clémentine Célarié, Stéphane Ferrara, Jean- Charles Tacchela qui est venu présenter en avant première son film "Travelling avant", Thierry Frémont...
C'est un de mes acteurs préférés...
La seconde année sont venus José Giovanni, Henri Verneuil, Michel Deville... Guy Bedos a présenté des séquences...
Dans les années 1990, nous avons commencé une activité de restauration de films muets sur la Corse et nous avons demandé à des groupes musicaux locaux de les accompagner de créations musicales. A partir de 1991, nous sommes vraiment rentrés dans le vif du sujet avec le rapatriement du patrimoine corse aux corses.
Du matériel de pointe
Et prochainement, que prépare la cinémathèque ?
Après le succès de la semaine de la critique, nous avons la cinémathèque itinérante qui présente des films que nous avons restaurés et numérisés et que nous faisons découvrir sur tout le territoire. Nous avons pratiquement 35 projections, de mai à septembre. C'est formidable car il y a un public nouveau, c'est très convivial. Et puis, nous organisons également des ciné-concerts...
Nous décentraliser dans la corse profonde, c'est démontrer à tous que des choses peuvent se passer. Les deux dernières années, cela a très bien marché. Nous avons eu près d'un millier de spectateurs à chaque fois, c'est quand même important. Vous savez, rien ne se fait sans travailler. Certaines fois, on peut uvrer pour quelque chose et ne pas voir son aboutissement... Dans notre cas, comme c'est devenu institutionnel, ce qui peut arriver, c'est la sclérose. Il faut l'éviter totalement. Aujourd'hui, nous sommes dans une société qui se sclérose vite, qui se formate et vous ferme la porte en négativant tout. C'est très dommage.
L'été arrive. Avec cet article, beaucoup de personnes vont mieux connaître la cinémathèque et sans doute seront-ils plus curieux...
Et c'est tant mieux. Ici, en corse, il y a beaucoup d'efforts à faire au niveau de la communication. Je sais que cela demande une infrastructure lourde, mais c'est cela la communication ! L'été, nous avons tout de même un million et demi de touristes ! Chaque village, chaque camp de vacances, chaque hôtel, crée des animations pour garder les personnes, alors il faut faire des trucs au top. Pour cela, il faut être organisé. Bien sûr, il y a beaucoup de manifestations comme "les nuits de la guitare","le latino américain" et autres... Mais si la commune n'est pas entièrement structurée pour développer tout cela, il vaut mieux laisser tomber. quant vous voyez par exemple Ramatuelle...
Le confort pour tous
Lorsque j'avais interviewé Jean-Claude Brialy, alors président du festival de Ramatuelle, il m'avait confié que cela marchait très fort !
Bien sûr. Mais cela demande une infrastructure technique importante. A Porto-Vecchio, nous n'avons plus de Théâtre d'été. Nous en avions un avec des gradins, mais après la catastrophe du stade de Furiani en 1992, les normes de sécurité sont devenues drastiques, et nous avons été contraints d'abandonner.
Jean-Pierre Matteï, merci beaucoup de m'avoir reçu et bonne continuation à la cinémathèque !