26 avril 2013. L'acteur est présent au théâtre municipal de Bastia pour y interpréter la pièce "Hollywood".
Rendez-vous est pris dans le petit salon de son hôtel. L'acteur se présente à l'heure, passe un dernier coup de téléphone et s'installe dans le canapé mis à sa disposition. Il semble fermé et glacial, mais je vais vite m'apercevoir que c'est une fausse impression. En effet, il se montre rapidement cordial, sympathique et prêt à répondre à toutes mes questions. Imposant, il dégage une impression de force contenue qui est vite contrebalancée par un sourire des plus naturels. Samuel Le Bihan ne se la joue pas "star" mais plutôt mec sympa, et ç'est très agréable.
Une jeune femme peut d'ailleurs en témoigner : Karen. Fan depuis toujours, elle m'a accompagné à notre rendez-vous et l'interview terminée, j'ai demandé à l'acteur si elle pouvait lui être présentée. Il a accepté avec gentillesse et à même fait une photo avec elle. Merci Samuel...
Voici donc l'interview :
Vous semblez être un acteur des plus éclectiques. Pouvez-vous me confirmer ces informations ? BTS dessinateur maquettiste ?
J'ai voulu faire les beaux-arts. J'ai fait une école nationale de dessin dont l'équivalent aujourd'hui est STD2A. Et finalement, j'ai fait du théâtre...
Jongleur, cracheur de feu ??
Effectivement. J'ai fait ça parce que j'ai commencé en jouant dans la rue.
Ecole de la rue blanche ? Concervatoire ?
Exact.
Vous avez fait les choses crescendo...
Mes parents étant très pauvres, j'avais des bourses d'Etat dans les écoles nationales.
Ensuite, la Comédie Française ?
Encore exact. J'ai fait 10 ans de théâtre classique.
Quand on regarde votre filmographie, elle est très variée. Je ne me trompe pas quand je dis que vous incarnez à l'écran la force virile...
Je ne sais pas...
Ah si, vous le savez ! (je ris)
(Il sourit) On m'a donné aussi des rôles d'intello coincé. Chacun voit midi à sa porte...
Mouais... Ce n'est pas un hasard si on vous a donné le rôle de Stanley Kowalski, l'écorché vif du "Tramway nommé désir"... Le rôle qui a fait connaître un certain Marlon Brando !
Effectivement. Et ça a été un beau succès en plus !
C'est un rôle beaucoup plus complexe qu'on ne croit et que Brando a énormément marqué. Sa force a été d'avoir mis de la féminité très dosée dans le personnage. C'est une fragilité à l'intérieur d'une force. Ce personnage est écrit très masculin et très autoritaire. Mais si on l'aborde comme ça, on commet une erreur et on plombe la pièce. Vous savez, l'intérêt de cette dernière est de montrer la fragilité de cet homme. Cet homme qui a fait la guerre, qui revient juste après, qui a du mal à exprimer sa virilité, qui est extrêmement fragile et qui s'est forgé une carapace. C'est ça l'enjeu du personnage ! Et le génie de Brando, c'est que même très jeune, il l'a compris ! C'est inouï ! (II me regarde fixement en riant) Vous me comprenez ou pas ?
(Je ris) Bien évidemment !
Parce que je vous vois très soucieux...
Pas du tout. Très attentif, ce qui n'est pas la même chose ! (Je souris). En fin de compte, quand on sait que cette pièce est écrite par Tennessee Williams qui n'était pas un modèle de virilité (nous rions)...
Oui, mais fasciné par elle !!
Exact ! Puisqu'il a eu une liaison avec Brando...
Oui. Il était fasciné par la virilité et la fragilité des hommes. Finalement, en ce qui me concerne, plutôt qu'essayer de comprendre la pièce, j'ai essayé de comprendre Tennessee Williams ! Et c'était vachement intéressant ! Les réponses étaient dans sa vie, dans sa quête et dans ses fascinations. C'est là que j'ai commencé à dessiner le personnage.
Quand vous préparez un tel rôle, vous vous en imprégnez complètement ?
Ca dépend. Des fois, j'ai envie de ramener le personnage à moi et dans ce cas là, je fais des recherches succintes, mais j'essaie surtout de mettre mon empreinte grâce à ma mémoire affective. Quelle est l'équivalent de situation que j'ai pu vivre et qu'est-ce qui s'est passé en moi à ce moment là ?
Vous vous servez donc aussi de votre vécu...
Ah mais moi, je n'ai que ça ! Ma palette, c'est mon vécu. Vivre des expériences différentes, ça vous enrichit énormément. On est fait de ce qu'on a vécu. Après, on peut y mettre de la technique, l'enrichir d'un peu d'imagination, d'expériences d'autres acteurs, parce qu'on se nourrit de nos pairs, mais moi, ce qui m'a le plus servi, ce sont mes propres expériences de vie, mes voyages, mes rencontres. Quand j'étais au Conservatoire, j'ai pris une année sabbatique pour voyager. Je me suis rendu aux Etats-Unis, à New-York, où j'ai fait des petits boulots : démémageur, coursier... c'était fascinant.
Vous avez également pris des cours à l'Actor Studio...
Oui, en auditeur libre. C'était formidable parce que c'était la fin des années 80 et la ville était très particulière, assez violente et dangereuse. Il y avait quelque chose de fascinant dans le fait de ne pas pouvoir maitrîser cette énergie. En plus... (Il rit)... C'était amusant parce que je n'avais pas d'argent et je me suis retrouvé à habiter dans Harlem et à travailler dans le Bronx... Donc, soit les gens me prenaient pour un flic, soit pour un dealer... (Il rit de plus belle)... Ils ne voyaient pas vraiment pourquoi un blanc était paumé là-bas !! J'avais trouvé un hôtel dans lequel j'habitais avec des africains francophones, ivoiriens, sénégalais, et on mangeait ensemble... C'était très familial, très sympa.
Tout ça, quand on est jeune, ça ouvre, ça nourrit.
Pourquoi ne pas être resté là-bas ?
(Il réfléchit)... Je serais bien resté là-bas, mais je suis revenu pour une histoire d'amour...
(Je le coupe) Comment est Samuel Le Bihan avec les femmes ?
(Il rit) Très amoureux ! Très fagile et très sensible ! Comme le sont souvent les mecs un peu costaud ! (Il rit). Ils ont des coeurs d'artichauts...
Mais heureusement que je suis revenu parce que les américains sont très ouverts, très chaleureux. On a donc le sentiment qu'on va pouvoir faire plein de choses. Et c'est vrai qu'on peut faire des choses, j'ai joué au théâtre là-bas ! Mais ils vous emploient parce que vous êtes français, parce que vous avez un accent et que ça les amuse. Il ne faut pas rêver, on reste toujours avec cette conotation exotique...
J'avais des choses à faire en France, il fallait que je finisse le Conservatoire, j'avais vraiment le sentiment que ma vie était en France, pas aux Etats-Unis. Ils avaient des codes qui m'échappaient. Et tant mieux parce que c'était très séduisant de rester là-bas et d'y croire, mais le danger était beaucoup plus grand. On le voit ! Aujourd'hui, un acteur qui veut réussir là-bas, il faut déjà qu'il réussisse sa carrière en France. Ensuite, il pourra s'exporter ! Mais chercher à s'exporter tout de suite, c'est mettre la charrue avant les boeufs.
Vous croyez vraiment qu'un acteur qui n'a pas de carrière en France ne peut pas réussir aux Etats-Unis ?
A condition de ne pas avoir d'accent !
Recentrons nous sur vous... Vous n'hésitez pas, quelquefois, à casser votre image de grand costaud pour jouer dans des comédies, par exemple "Disco" de Fabien Onteniente dans laquelle vous interprétez un docker fan de danse...
(Il sourit)... Ouais, c'est marrant.
Ou dans "3 zéros"... D'ailleurs, j'en profite pour vous remercier d'avoir porté le fameux maillot "Manufrance" de l'AS Saint-Etienne pendant le film, étant donné que c'est mon équipe fétiche... (je ris)
(Il rit aux éclats)... Ah oui !! l'AS Saint-Etienne, c'était mon enfance ! Je voulais raconter une partie de mes rêves d'école primaire. On en parlait tous entre gosses. Chaque fois que les verts jouaient, c'était l'évènement !
Comment est Samuel Le Bihan sur un tournage ?
(Il réfléchit)... Très concentré, un peu dans ma bulle, et en même temps, j'essaie de faire en sorte de m'amuser. En tout cas, je ne suis pas là pour souffrir. Je ne fais pas ce métier pour souffrir... Je l'ai choisi parce que j'avais l'idée que ce métier me rendrait plus heureux. Mais ça dépend un peu du metteur en scène, c'est lui qui donne le ton de l'équipe... Je dis ça parce qu'il y en a qui aiment travailler dans le souffrance, ce qui n'est pas mon cas. J'ai besoin de me sentir aimé et apprécié. Je créé donc un contexte dans lequel on s'amuse, on est heureux, mais très professionnel.
Alors comment choisissez-vous vos films ? En fonction du scénario ou du réalisateur ? Si on vous propose une superbe histoire réalisée par un metteur en scène réputé difficile, du style Mocky par exemple ?
Pour le coup, c'est une question compliquée... (Il réfléchit longuement)... Je vais sans doute me contredire là-dessus... Effectivement, quand un grand artiste vous propose de travailler avec lui, on a la curiosité de voir à quoi ça ressemble...
Si on se positionne comme artiste, il faut rencontrer d'autres artistes. Et les plus grands possibles ! Et c'est vraiment le metteur en scène qui va faire que le film est intéressant ou pas. Par expérience, je dirais que plutôt qu'un bon script, il vaut mieux choisir un bon metteur en scène. C'est lui qui peut vous faire évoluer, vous rendre meilleur.
Il vous est arrivé d'avoir un gros conflit avec un metteur en scène ?
(Il réfléchit)... Non. Par contre, il m'est arrivé de rencontrer des personnes qui confondent le respect humain et la quête artistique. Et là, il m'est arrivé de recadrer un peu la situation !
Et comment êtes-vous à ce moment là ? Diplomate ?
Oui. Il faut faire les choses dans le respect. Il faut accepter le fait que la personne ait été maladroite et qu'un mot lui ait échappé. Dans ce cas là , on lui parle, on lui explique qu'elle a dépassé les bornes. Maintenant, si c'est une personne qui cherche ouvertement le conflit, il faut se défendre. C'est une règle de vie ! (il rit). C'est important de ne pas se faire marcher sur les pieds parce qu'après c'est la double peine. Non seulement la situation nous affecte, mais ensuite on la revit intérieurement de façon désagréable. Il est donc important de vider son sac tout de suite, ou en tout cas le plus vite possible et le plus cordialement possible. Ca fait du bien à tout le monde.
C'est un métier qui est basé sur le désir. Et ce dernier donne énormément de pouvoir à ceux qui vous désirent. Et c'est valable dans tous les milieux professionnels !
On entend l'histoire des gens qui se suicident au boulot... C'est ça ! Ils ont l'impression que leur travail ne sert plus à rien, qu'ils sont dévalorisés, humiliés, et ça les atteint profondément. Notre travail régit aussi notre existence, notre utilité à la société. Nous avons, chacun, un rôle à jouer au sein de notre société et nous, les acteurs, nous sommes là pour amuser, pour donner des sentiments. En ce qui me concerne, si j'ai un don aujourd'hui, c'est plutôt celui d'un amuseur, d'un transmetteur de sentiments, de personnages. Ca ne vaut pas plus que ça mais c'est aussi respectable qu'un comptable qui veut qu'on respecte ses années de travail. Et je trouve qu'il y a une perte de valeur dans notre société actuelle... Là, je crois que j'ai un peu plombé l'ambiance de l'interview !! (Il rit de bon coeur).
Non, non ! (Je ris). Tiens, je vais relancer l'ambiance... Vous avez abordé tous les genres (comédie, drame, policier, etc...) mais je ne vous ai jamais entendu chanter !
(Il rit). Non. Je chante très mal ! Et c'est très drôle que vous en parliez. Il y a deux ans, un été, je me suis dit : "Tiens, je vais apprendre la guitare". J'ai donc beaucoup travaillé et je m'y suis mis à fond. Comme je n'avais pas envie d'apprendre de façon académique, j'ai tout de suite appris les morceaux où l'on chante. Et ça m'a passionné ! Et puis un jour, je devais travailler avec des amis, à la maison, à l'écriture d'un spectacle. Je leur ait dit que j'allais leur interpréter un morceau à la guitare. J'étais tout fier ! J'ai donc commencé à jouer et je crois que je n'ai jamais vu, de toute ma vie, des gens avoir un fou rire aussi long ! (Il rit)... J'ai rangé la guitare et je ne l'ai jamais ressortie. J'ai été vexé comme un pou ! (Il rit de plus belle). Je crois que j'ai une voix de casserole et je suis le seul à ne pas m'en rendre compte !
Pour finir, il faudrait que vous me confirmiez une rumeur qui court sur internet. Vous seriez président du club des propriétaires de R12 dans la Sarthe !
(Il sourit) Il paraît ! C'est rigolo, mais c'est faux. Cependant, la R12 me rappelle mon enfance ! (Il rit). D'ailleurs, j'ai une histoire là-dessus ! On tournait "Capitaine Conan" en Roumanie avec Bertrand Tavernier, et j'avais un chauffeur qui me conduisait en Dacia. Un jour, nous sommes tombés en panne et il n'y connaissait rien en mécanique. Moi, je m'y connaissais un peu parce que j'ai eu des vieilles voitures, et j'ai ouvert le capot. J'ai vite compris que c'était le carburateur, je l'ai démonté, je l'ai nettoyé et je l'ai remis. A l'époque, on pouvait le faire avec un simple tournevis. Maintenant, c'est impossible. Je lui avais donc sauvé sa journée parce qu'il était payé comme chauffeur !
Quelques jours plus tard, un soir, j'étais perdu dans Bucarest... Il neigeait, il n'y avait pas une voiture, je ne trouvais pas de taxi, rien ! Soudain, je vois une voiture qui passe. Je lui fais signe et c'était mon gars !! Comme je lui avais sauvé sa journée en réparant sa R12, il m'a ramené à mon hôtel ! (Il rit).
Vous avez parlé de "Capitaine Conan". A votre avis, le film qui vous a vraiment lancé, c'est lui ou "Le pacte des loups" ?
(Il réfléchit)... "Capitaine Conan" m'a fait connaître auprès des professionnels. Auprès du grand public, cela a plus été "Vénus Beauté", surtout auprès de la gente féminine... Mais de façon très médiatique, ça a été "Le pacte des loups", bien que "Jet set" soit sorti juste avant.
"Le pacte des loups" était un film très atypique, très inattendu dans le paysage français, pas donné gagnant au départ et qui, finalement, a explosé le score de façon très controversée !
Pourquoi ?
Parce qu'en France, on ne savait pas qu'on pouvait faire des choses comme ça. A la fois, il y avait énormément de fierté et en même temps d'énervement. (Il sourit). En France, on était capables de faire des films de dimension américaine ! C'était inouï et ça a vraiment bien marché ! C'était une grande aventure : six mois de tournage, on démarrait l'hiver, on finissait l'été, et avec le même costume ! Vous gelez donc l'hiver et vous cuisez l'été ! En plus, sur certaines scènes, il mettaient de la neige alors que nous étions au mois d'août ! La fausse neige est faite à partir de pomme de terre et c'est une sensation très étrange d'être dans une atmosphère enneigée dans laquelle on transpire !! (il rit). Le cerveau n'est pas adapté à ça et il ne comprend pas !! (il rit de plus belle). C'était vraiment épique !
Et bien je vous remercie beaucoup de votre gentillesse.
Mais je vous en prie.
Avec sa fan
Reportage photo réalisé par Candice Obron-Vattaire